Recrutement sous tension : comment surmonter la pénurie de talents ?

Les talents d’Achil : Laurence Molle

La pénurie de talents bouleverse de nombreux secteurs qui peinent à recruter. Pour répondre à cette situation, les entreprises doivent s’adapter aux nouvelles attentes des candidats, une nécessité particulièrement visible dans l’hôtellerie-restauration. Mais ces tensions résultant de multiples facteurs, les solutions sont-elles si évidentes ?

Est-ce que la pénurie de talents existe vraiment ? Ou bien s’agit-il d’un phénomène plus complexe qui dépasse les entreprises ?

La réalité en tout cas côté employeur, c’est que 54% déclarent être confrontés à des difficultés pour dénicher des professionnels qualifiés selon l’étude “Future of work” 2024 du site d’emploi Monster.

Divers secteurs sont touchés et le mot “tension” est bel et bien sur toutes les lèvres.

Pire, la DARES (Direction de l’Animation de la Recherche des Études et Statistiques) et France Stratégie prédisent un avenir assez pessimiste pour les recruteurs à travers leur rapport Les Métiers en 2030.

Dans ce paysage un peu morose, Laurence Molle, membre du collectif Achil et recruteuse indépendante spécialisée dans l’industrie du tourisme, de l’hôtellerie et de l’évènementiel – un secteur connu pour être sous tension – apporte de l’optimisme via son regard et des exemples de leviers pour mieux recruter et fidéliser.

Elle vous partage toutes les clés pour comprendre et faire face à cette pénurie des talents.

Crise et tension du recrutement : un défi qui touche plus d’un secteur ?

Ce que dit la DARES dans les grandes lignes ? Des ouvriers qualifiés du second œuvre du bâtiment, aux ouvriers qualifiés de la manutention, peu de domaines et métiers sont épargnés.

Petit tour d’horizon :

Agricole : 1 agriculteur sur 2 prendra sa retraite d’ici 2030. Un constat inquiétant d’autant plus quand on sait qu’en 2022, 257 400 projets de recrutements étaient recensés par la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) et plus d’un sur deux étaient déjà estimés difficiles.

Aide à la personne : 328 000 postes d’agent d’entretien ou encore 224 000 postes d’aides à domicile resteraient non pourvus en 2030. Et cela, alors même que 7 millions de jeunes sont censés intégrer le marché du travail d’ici là.

Commerce : Depuis 2019, le métier de vendeur fait partie des fonctions comptant le plus de postes à pourvoir. Le fort taux de départs en fin de carrière d’ici 2030 annonce une perspective toujours plus incertaine pour les commerces.

Enfin, en ce qui concerne le secteur de Laurence, 1,3 million de personnes travaillaient encore dans l’hôtellerie-restauration avant la pandémie du COVID, contre 1 million en 2021.

D’autre part, l’UMIH (l’Union des Métiers de l’Industrie Hôtelière), évalue que, faute de trouver le bonheur au travail sur leurs postes, c’est tout de même 140 000 salariés de l’hôtellerie-restauration qui l’ont quitté pour une reconversion professionnelle et en parallèle 200 000 postes non pourvus d’après le chef étoilé Thierry Marx qui tirait la sonnette d’alarme en 2024.

Si les problèmes de recrutement et le manque de candidats ne datent pas d’aujourd’hui, il faut admettre qu’ils se sont aggravés ces dernières années.

Pour Laurence, il y a une cause évidente, et elle est commune à bien des secteurs : la crise sanitaire de 2020. Avec pour conséquences :

Une prise de recul sur les conditions de travail : refus de l’épuisement professionnel et des horaires contraignants.

Une image dégradée des métiers : précarité, absence de reconnaissance, de formation et faible valorisation des compétences.

La fuite des travailleurs vers d’autres secteurs : reconversions massives vers des métiers offrant plus de sens ou d’équilibre vie pro / vie perso.

Une perte d’attractivité durable : les anciens salariés ne sont pas revenus après l’épisode COVID, accentuant le manque de main-d’œuvre qualifiée.

En résumé, 2020 a accéléré une tendance préexistante, révélant des failles profondes dans l’attractivité de nombreux métiers.

Laurence : “Beaucoup de jeunes ou saisonniers sont partis parce qu’ils ont compris qu’ils pouvaient gagner mieux leur vie ailleurs, avec des horaires plus stables. Et la pénurie notamment dans l’hôtellerie, c’est aussi le résultat d’années de précarisation du métier, d’usage de contrats abusifs. Beaucoup sont partis et ne reviendront pas.”

Autant de métiers et secteurs qui rencontrent et rencontreront potentiellement encore plus de déséquilibres dès demain.

La bonne nouvelle ? Avec une baisse de – 34 % de chiffre d’affaires en 2020, les restaurants ont dû fonctionner différemment et ont entamé une certaine prise de conscience chamboulant leurs pratiques…

3 leviers pour surmonter la pénurie de talents et faire face aux tensions

Notre rapport au travail a évolué. Le bien-être n’a jamais été aussi crucial à nos yeux, la flexibilité est devenue une exigence centrale et la reconnaissance ne doit plus se quémander.

C’est la fin du « travailler à n’importe quel prix » : les talents sont plus sélectifs.

Laurence le réalise au contact de ses candidats, et ça se traduit par moins de tolérance de leur part vis-à-vis des horaires éclatés, aux cadences infernales, au management à la dure, une grosse attente sur le respect de leur droit au repos, ou plus d’avantages.

Elle a alors observé 3 leviers activés par ses clients, qui pourraient bien inspirer d’autres secteurs que l’hôtellerie et la restauration.

1. Repenser les conditions de travail pour mieux recruter

Les coupures et les amplitudes horaires excessives, l’absence de solutions d’hébergement,  le manque d’avantages concrets sont autant de freins majeurs au recrutement.

Pour y répondre :

  • De plus en plus d’établissements instaurent des rotations en équipes distinctes (matin/soir) pour éviter les journées en 2 temps.
  • Des restaurateurs réduisent volontairement leurs plages d’ouverture, privilégiant un service continu ou une fermeture le midi pour alléger les charges horaires.
  • Les employeurs les plus proactifs proposent des logements ou assument une partie du loyer pour attirer du personnel.
  • Face au turnover, certaines entreprises garantissent des CDI saisonniers, assurant un revenu même pendant l’intersaison pour être sûrs de les garder d’une année à l’autre
  • D’autres parient sur les avantages pour renforcer leur attractivité, comme des nuits d’hôtel offertes aux employés dans leur chaîne, un accès à des abonnements sportifs ou encore la mise en place de CE externalisés avec des réductions et offres comparables aux grandes organisations.

Laurence : “Les entreprises pour qui le recrutement est “facilité”, ce sont tout simplement celles qui ont compris qu’il fallait s’adapter aux attentes des candidats.”

Et oui, l’hôtellerie-restauration ne peut plus se reposer uniquement sur la passion du métier.

2. Management : les nouvelles règles pour fidéliser sans tension

Laurence : “En 2025, les jeunes n’acceptent pas les pratiques d’avant en cuisine. Et ceux qui ont subi ces méthodes ne veulent pas les reproduire. Et ils ont tous raison.”

C’est ainsi que dans un secteur réputé dur comme la restauration, on découvre à présent de nouvelles tendances, avec :

  • La fin du management par la terreur, ou autrement dit, la culture du « chef qui crie » en cuisine et en salle.
  • L’amélioration des pratiques managériales : moins d’autoritarisme, plus de bienveillance et d’accompagnement.
  • La valorisation de la transmission. Laurence l’aperçoit chez ses clients avec des programmes de formation interne.

3. Mettre son secteur au vert pour attirer des candidats

Les candidats ne choisissent plus seulement un emploi pour le salaire ou les conditions de travail. L’axe environnemental et social des entreprises pèse dans leur décision. Dans un secteur tel que l’hôtellerie-restauration, où l’impact écologique est important, les employeurs s’engagent niveau RSE et Laurence l’observe par :

Une montée de la conscience écologique en cuisine :

Avec des circuits courts, des produits de saison et la réduction du gaspillage alimentaire, voire la valorisation des déchets organiques.

Laurence : “En cuisine, je vois beaucoup de chefs qui se forment au zéro déchet. Désormais, ils utilisent tout : des épluchures jusqu’au moindre ingrédient. C’est une nouvelle manière de cuisiner.”

Des démarches écoresponsables qui s’imposent en hôtellerie :

Avec une meilleure gestion de l’eau, des dispositifs pour réduire la consommation, la suppression des emballages plastiques dans les chambres (adieu les mini-savons et les flacons jetables), l’optimisation du linge et la sensibilisation des clients pour les encourager à adopter des écogestes lors de leur séjour.

La RSE n’est pas qu’une simple option marketing, mais un véritable levier d’attractivité pour les recruteurs du secteur, et un critère de choix pour les talents en quête de sens.

Recruter autrement : où trouver les profils pénuriques ?

Qu’on se le dise, le recrutement classique, c’est terminé. Les CVthèques ne suffisent plus.

Partenariats avec les écoles spécialisées, exploitation de réseaux d’anciens élèves – alumni, communautés… Laurence mise à fond sur les recommandations et du sourcing via des communautés professionnelles.

En tant qu’ex-professionnelle du secteur, elle appartient à ce monde, elle en connaît les codes, et elle y a développé sa marque recruteur.

Laurence : “Je me considère comme une femme de réseau. Ce sont les candidats qui viennent à moi, parce qu’ils savent que je recrute dans leur secteur et qu’ils me font confiance.”

Elle est par ailleurs très active au sein de BNI Méditerranée, où elle accompagne 40 chefs d’entreprise grâce aux recommandations d’affaires en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et en tant que Présidente du SKAL INTERNATIONAL VAR PROVENCE, un réseau international regroupant plus de 12 200 membres dans 70 pays, elle œuvre également au développement des connexions entre professionnels du tourisme et du voyage.

Dans un marché sous tension, où recruter représente un gros challenge, son engagement dans ces réseaux illustre une réalité :

Et si la clé face à la pénurie de talents résidait justement dans la force du collectif et des recommandations ?

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