Les talents d’Achil : Majda Bajjouj
Le CV parfait n’existe pas“Candidat n’est pas un métier”. Vous avez déjà dû lire ce mantra prôné par l’école du recrutement. Le CV tel qu’il est reste un outil et ne doit pas être à prendre au pied de la lettre, dans tous les sens du terme, au risque de s’auto-piéger avec nos préjugés. Etes-vous prêt à le questionner ?
6 secondes, 40 secondes, 3 minutes… Combien de temps prennent les recruteurs pour découvrir un CV ?
Les durées varient d’une étude à l’autre, pendant que le constat lui est toujours le même : le fameux Curriculum Vitae est encore un document majoritairement utilisé par les professionnels du recrutement, mais demeure un sujet à débat quant à son efficacité.
Si le CV reste un passage obligé dans le recrutement, pour autant, il n’est pas à considérer comme l’unique reflet du potentiel d’un candidat. Derrière les imperfections ou les failles sur le papier peuvent se cacher des talents que seul un regard plus approfondi permet de révéler.
Voir au-delà du CV, c’est la philosophie de Majda Bajjouj, recruteuse indépendante spécialisée sur le secteur finance et comptabilité, psychologue de formation et membre du collectif Achil.
Découvrez sa vision et ses pratiques pour contourner les apparences du CV.
Quand le CV ne fait pas le moine
Le CV continue de diviser en 2024. Et pour cause.
Côté candidats, il est boudé, faute de savoir comment se vendre, de bien cerner les attentes des entreprises ou encore de maîtriser les bons outils pour sa réalisation.
Pour les recruteurs, son analyse est malheureusement souvent subjective et il leur est difficile de se détacher de sa forme.
Justement, Majda partage le TOP 5 des points parfois vus comme des faux pas, révélant ainsi des idées reçues qui peuvent influencer les recruteurs dans leurs décisions.
- Les fautes d’orthographe
- Le CV indigeste avec trop de texte
- Le mauvais intitulé de poste, voire aucun intitulé
- L’utilisation d’un modèle type sur Canva sans aucune personnalisation
- A contrario, le manque de détails sur les entreprises et expériences passées
Ces aspects paraissent sûrement anodins, toutefois, ils ont tendance à être perçus comme un manque de soin ou de professionnalisme.
Pourtant, ça ne reste que de la forme et ne dit rien des compétences du candidat.
Majda : « Être candidat, ce n’est pas un métier. Moi, mes candidats, ils sont entre autres collaborateurs comptables ou gestionnaires de paie. J’attends d’eux qu’ils soient compétents dans leur domaine, et non pas qu’ils soient des experts en réalisation de CV. »
Nos perceptions, basées sur des stéréotypes ou des expériences passées, méritent d’être déconstruites pour permettre une évaluation plus juste et nuancée des candidats.
C’est pourquoi d’après elle, il est crucial de rappeler l’importance du rôle du recruteur pour accompagner les candidats qui n’ont pas les codes du recrutement et ainsi ne plus tomber dans des jugements hâtifs.
Ce que les trous dans les CV signifient vraiment… ou pas !
Il est tentant de plonger dans le raccourci “trou dans le CV” = instabilité.
Cependant, il est temps de les normaliser. Les carrières linéaires laissent de plus en plus place à des parcours variés. L’étude OnePoint 2035 nous le confirme par ailleurs : La multi-activité, ou le slashing, devient un pur style de carrière, complètement assumé.
C’est le cas notamment de Nabyl Soula, un autre membre du collectif Achil, qui partage aussi sa double casquette dans un article dédié au cumul d’une activité salariée et indépendante.
Se concentrer sur les « trous » dans les CV est une pratique contre-productive et injuste. En effet, ces périodes d’inactivité sont souvent stigmatisées, alors qu’elles ne sont que le reflet de réalités personnelles ou professionnelles légitimes. Il peut s’agir de reconversion professionnelle, comme de licenciement, de parentalité, de santé ou autre.
Pour Majda, le focus, dès l’étape lecture du CV, doit porter sur les compétences, pour une approche plus humaine.
Majda : “Dans la vie au quotidien, j’essaie de ne pas me fier aux apparences et d’aller un peu plus loin que ça. Mon bagage en psychologie m’a vraiment prouvé à maintes reprises à quel point on peut très vite se tromper dans nos jugements. »
Pire, creuser sur ces fameux trous est vu comme une violence inouïe selon Nicolas Galita dans un article sur le blog de L’école du recrutement.
3 clés pour dépasser les préjugés face au CV
1. L’importance de l’environnement de travail
En adhérant au collectif Achil, Majda évolue dans un environnement où l’indépendance et la solidarité sont des valeurs centrales. Pour elle, le contexte de travail est une des clés principales.
En tant que membre du collectif, elle bénéficie d’un cadre où l’esprit de collaboration, de bienveillance et d’accompagnement prédominent et ce mindset est partagé par tous les recruteurs du réseau.
Majda : “C’est une des raisons pour lesquelles j’ai rejoint Achil. Nous avons une vision commune sur la considération, autant envers nos clients que nos candidats. La manière dont on est soutenu joue indéniablement sur nos pratiques. Et ça, ça commence dès la lecture d’un CV.”
2. La valorisation de l’entretien
La rencontre est le meilleur moyen d’après elle pour évaluer le potentiel et non uniquement se fier à un document comme le CV ou la lettre de motivation.
Et la science lui donne raison !
L’entretien structuré est encore aujourd’hui estimé être la méthode la plus prédictive en recrutement, selon une étude parue en décembre 2021 dans le Journal of Applied Psychology.
Majda : “J’ai moi-même été à cette place de candidate et je sais combien il est frustrant de ne pas franchir l’étape candidature. Ne pas m’attacher au CV me permet d’offrir une chance égale à tous les candidats.”
3. Expliquer le candidat au client
Majda met en lumière un facteur négligé la plupart du temps (et quelque peu controversé) : les a prioris viennent du côté des clients.
Il y a une nécessité réelle de réussir à les embarquer au-delà du CV.
Un travail d’évangélisation est indispensable, certes. Mais l’art de savoir vendre son candidat également.
Et pour ce faire, Majda s’appuie sur ses comptes-rendus d’entretien.
Majda “Si le CV d’un candidat en lui-même ne permet pas toujours d’observer de la cohérence dans son parcours, je veille alors à apporter de la logique. Mes comptes-rendus ont pour objectif justement d’expliquer le profil, là où le CV est très souvent insuffisant.”
C’est ainsi qu’elle a pour habitude d’y présenter :
- Le contexte du candidat / sa situation
- Ses formations et ses expériences
- Un zoom sur ses compétences clés
- Une mise en avant de son savoir-être
Mais aussi, moins visible sur le CV, ses attentes (managériales comme salariales), ses aspirations, ou même sa disponibilité.
Achil met à votre disposition un guide complet pour réaliser un compte-rendu d’entretien.
Recruter sans juger : une question d’état d’esprit ?
Pour Majda, c’est l’essence même du métier de recruteur, que de déceler ce qui n’est pas visible au premier abord, tout comme de surmonter ses opinions toutes faites.
Majda : “J’ai d’ailleurs eu un cas récemment. Un candidat dont le CV était très dense et ne mettait pas en évidence une de ses expériences clés en cabinet d’expertise-comptable, alors que c’était un critère prioritaire correspondant au besoin d’un de mes clients. J’aurais pu passer à côté, mais je laisse toujours l’entretien me confirmer si le profil correspond ou non. Il s’est avéré qu’il avait bel et bien les compétences adéquates pour le poste. Un compte-rendu détaillé plus tard, il décrochait un entretien avec mon client.”
Aller plus loin que le CV s’est transformé en véritable réflexe.
D’autre part, la formation est la dernière piste incontournable à explorer pour réussir à outrepasser les biais.
Pour que le CV reste un point de départ, mais pas une fin en soi.